Avant d’être un théâtre et un haut lieu de la culture à Lisbonne cet édifice fut l’emblème de la justice Portugaise et du pouvoir portugais. Ce bâtiment fut le théâtre de nombreux événements historiques, lieu important pour la culture portugaise, qui continue d’évoluer tout en mettant en valeur la culture portugaise moderne ou classique.
Cet édifice fut construit vers 1450 pour héberger les dignitaires étrangers et les nobles de passage à Lisbonne. Par manque de place au château Saint Georges, les invités du roi logés dans ce nouvel édifice et parfois aussi chez les habitants. A cette époque et même juste un peu plus tôt, l’inquisition avait déjà pris ses quartiers dans ce lieu. Ce palais qui ne ressemble pas au bâtiment de nos jours, fut nommé le Palacio dos Estaus. Ainsi, au XVI siècle, le palais Estaus devient le siège officiel de l’inquisition portugaise sous le règne du Roi Jean II. Le palais prit une fonction particulière et importante, à la fois logement pour la noblesse et lieu de la justice religieuse. Situé sur la place de Rossio, le palais servait de prison et de tribunal religieux, le peuple pouvait aussi assister à l’exécution des sentences prononcées dans ce palais. L’histoire retient surtout l’exemple de l’écrivain, philosophe et humaniste Damião de Góis victime de l’inquisition tout comme le dramaturge Antonio José de Silva âgé de trente-trois ans, disparaissant dans les flammes.
Ironie du sort en 1755, le palais fut endommagé lors du terrible tremblement de terre puis complètement détruit par l’incendie de 1836.
Après la fin de l’inquisition au début du 19 ème siècle, et avec l’arrivée du mouvement culturel du romantisme, il est décidé de reconstruire le palais dans le style néo-classique, lieu réservé à l’art théâtral. Grâce aux efforts du poète écrivain et homme politique Almeida Garett, le lieu fut reconstruis pour devenir le théâtre D. Maria II en hommage à la Reine Maria II (1819-1853).
Le mari de la Reine, était un allemand défenseur du romantisme. Artiste et passionné d’art, il a réalisé qu’il manquait quelque chose à Lisbonne, et en cherchant, il a rejoint un écrivain portugais, Almeida Garrett, et tous les deux commenceront à monter le projet autour de l’art théâtral à Lisbonne. Ainsi fut bâti le théâtre national et la création de l’école d’acteurs (le conservatoire) et l’institution.
Dès le départ, le lieu a eu l’ambition d’être un théâtre national et d’avoir en son sein des troupes de comédiens professionnels. La troupe qui avait le privilège de pouvoir jouer dans le théâtre fut choisie par concours. Plusieurs troupes restèrent plusieurs années et le lieu garde en mémoire les acteurs talentueux qui se sont succédés.
A cette époque les pièces de théâtre écrites en portugais étaient jouées dans Lisbonne, mais pas au théâtre Dona Maria II. Ces pièces en langue portugaise, étaient surtout des pièces très fantaisistes et de mauvaise qualité. Ainsi, en 1800, au théâtre Dona Maria II, beaucoup de monde se produisait dans de nombreuses langues, à l’exception du portugais. Ils se produisaient aussi des pièces en français, italien et espagnol, car le portugais n’était pas considéré comme une langue de valeur à cette époque.
Puis au milieu des années 1800, un sentiment de nationalisme sur le pays apparu, comme cela se passait en France et en Allemagne. Au Portugal, les nobles au pouvoir voulaient faire revivre le passé, ils voulaient donner aux gens le sentiment d’appartenir à cette nation. C’était une volonté pour le pouvoir d’utiliser cette institution pour également rééduquer un peu les gens.
Les compagnies qui se sont succédées, étaient assez libres, elles payaient un loyer et pouvaient jouer ce qu’elles voulaient, jusqu’à un certain point. Lorsque le théâtre a ouvert, la presse était entièrement libre. Le roi était critiqué ouvertement et c’était très commun : par exemple, des personnes influentes travaillaient le matin comme conseillers, l’après-mid étaient parlementaires et le soir, journalistes. C’était un fonctionnement très politique, il était aussi courant pour le roi d’écrire sous son nom dans les journaux. C’était donc une presse complètement libre , ce qui veut dire que tout ce qui se disait dans le théâtre était complètement accessible et ceci a changé évidemment avec l’arrivée de la dictature.
L’influence du théâtre sur la ville
Le théâtre était incontournable, le monde s’y rendait spécialement pour être bien vu, et le spectacle était aussi bien sur scène que dans les balcons. Cette pratique a changé dans les années 1900, jusque-là, c’était comme pour l’opéra, les spectateurs étaient invités par le Roi. Puis après la révolution française tout cela à évoluer, pour la première fois, tout le monde pouvait acheter un billet. La seule contrainte fut que le peuple et la noblesse ne pouvaient pas s’asseoir ensemble, le statut social était très important dans le choix des places. Les sièges appartenaient au groupe auquel ils appartenaient, tout le monde allait au théâtre, le théâtre à cette époque reflétait parfaitement la structure et l’organisation de la société européenne. L’influence était surtout politique.
Pendant la dictature, le lieu resta un théâtre, mais l’organisation au sein du théâtre était différente. C’est à cette époque qu’une compagnie est restée le plus longtemps, elle n’a pas changé pendant 60 ans. Sous la Ditadura Nacional, l’omertà était de rigueur, pas de critique de la société au sein du théâtre et encore moins du pouvoir. Les pièces étaient contrôlées, les textes étaient vérifiés, et censurés par la police d’état.
La culture de Lisbonne a changé tout comme le théâtre. Au fil des événements sociaux, le théâtre fut témoin de nombreux événements historiques. Aujourd’hui, le théâtre reflète notre société, il se veut gardien de la culture théâtrale classique et accueille dans son lieu des metteurs en scène qui revisitent les classiques. Des pièces totalement contemporaines sont jouées, le théâtre a créé une deuxième salle, plus intimiste, et sans décor, pour laisser au créateur contemporain carte blanche. Comme à sa création, le théâtre dépend du budget du gouvernement alloué à la culture, lui confère une autonomie entière et n’est pas soumis à l’audience de ses créations. C’est pourquoi le tarif des places est très accessible, et le fait de rendre accessible la culture et le jeu du langage devient un acte très noble. Le processus créatif est très avant-gardiste, et les pièces créées au sein du théâtre sont jouées dans d’autres lieux au Portugal et dans le monde. Le théâtre a aussi ouvert ses portes à la visite, tous les lundis, visite guidée par Carla Mira qui m’a aidé à écrire cet article sur le lieu emblématique de Lisbonne.